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Devenir les citoyens de demain – Mutation douce de l’Éducation nationale

30 Mai 2025 | Les ateliers, Tous les articles

Individualité et citoyenneté conjointes

Il est un concept philosophique et spirituel, l’anima mundi, qui trouve ses racines dans la pensée antique de Platon.

Celui-ci nous parle de l’importance de l’expression de la singularité de chacun : l’individualité permet à chaque personne d’apporter sa propre perspective, ses talents et ses valeurs, enrichissant ainsi la diversité et la complexité de la réalité et s’intégrant dans la construction vivante de notre monde. La reconnaissance de l’unicité est donc cruciale pour la citoyenneté.

En tant que citoyens, nous avons la responsabilité d’agir selon nos valeurs et de contribuer positivement à notre communauté. Chaque action individuelle peut avoir un impact collectif, renforçant alors le tissu social et favorisant un environnement empathique et inclusif. Cependant, pour pouvoir s’autoriser à être, il est important de se « connaître », de s’apprivoiser pour pouvoir rayonner et créer une dynamique de citoyenneté active et engagée, essentielle pour construire un monde plus juste, harmonieux et en paix.

C’est dans cet esprit qu’est né l’atelier dédié aux enfants des écoles primaires : « Devenir les citoyens du monde de demain ».

Le projet d’atelier : graine et croissance

Avoir l’idée de cet atelier était une chose, mais comment ensuite le faire vivre et le faire accepter dans la sphère étatique de l’Éducation Nationale  ?

La première graine du projet a été plantée au cours d’un temps d’animation sur «  la découverte des émotions », lors d’un voyage scolaire organisé par une école privée. La richesse du partage avec les enfants et leurs parents (conviés eux aussi sur une partie du séjour) m’a confortée dans l’idée qu’il était important de pérenniser et d’approfondir la construction de ce partage.

Puis une nouvelle opportunité s’est offerte à moi lorsque j’ai découvert, grâce à une amie professeure des écoles, le réseau Unesco (1). J’ai alors réfléchi à faire une demande de labellisation auprès de cette organisation porteuse d’un message de paix qui semblait en lien avec ma proposition.

Après un an de réflexions, d’essais, de partages, mes recherches ont pris forme et trouvé leur légitimité grâce à ce réseau, mais également grâce à une instruction interministérielle de l’Éducation nationale du 19 août 2022 sur le développement des compétences psychosociales.

Genèse des compétences psychosociales (CPS)

Les CPS font partie intégrante de mon programme et me permettent d’avoir une grille d’évaluation sur l’efficience de mon atelier.

Mais de quoi s’agit-il exactement et pourquoi ces compétences sont-elles intégrées au programme de l’Éducation nationale ? Pour comprendre leur existence au sein de l’école, il m’a fallu d’abord remonter leur histoire.

Leurs premières traces se trouvent dans l’Antiquité avec les philosophes Socrate, Platon, Aristote et Confucius, qui abordent ces thèmes à travers la morale, l’éthique et l’empathie. Il faut attendre la fin du XIXe et le début du XXe  siècle pour les retrouver dans le travail des pédagogues Montessori, Freinet, et de psychanalystes et psychiatres comme Sigmund Freud et Carl Jung, qui explorent les aspects émotionnels et sociaux de l’individu, ouvrant ainsi la voie à la compréhension des compétences psychosociales.

Dans les années 1960-1970, ce concept émerge dans les domaines de la psychologie sociale et de l’éducation. Les chercheurs commencent à définir et à mesurer des compétences spécifiques, telles que la communication, l’empathie et la résolution de conflits. Des programmes d’éducation sociale et émotionnelle sont alors développés pour enseigner aux enfants et aux adolescents des compétences telles que la gestion des émotions et la communication efficace. Un cap est ensuite franchi au Canada en 1986, lors de la première conférence internationale de la promotion de la santé, pour répondre à la demande grandissante d’un mouvement de santé publique inédit dans le monde.

Une charte est alors signée par trente-huit pays, qui offre une nouvelle définition de la santé : « La santé est la mesure dans laquelle un groupe ou un individu peut, d’une part, réaliser ses ambitions et satisfaire ses besoins et, d’autre part, évoluer avec le milieu ou s’adapter à celui-ci. La santé est donc perçue comme une ressource de la vie quotidienne, et non comme le but de la vie. Il s’agit d’un concept positif mettant en valeur les ressources sociales et individuelles, ainsi que les capacités physiques. Ainsi, la promotion de la santé ne relève pas seulement du secteur sanitaire : elle dépasse les modes de vie sains pour viser le bien-être (2). »

Ce travail de santé publique est mené par l’OMS qui intègre les compétences psychosociales dans ses initiatives visant à prévenir la violence, le suicide et l’abus de substances. Elles sont reconnues comme essentielles non seulement pour la santé mentale, mais aussi pour le développement personnel, l’éducation et l’insertion sociale. Mais surtout, elles sont repensées pour inclure la pensée critique, la prise de décision et la gestion des émotions.

Enfin, dans les années 2000, l’Unesco intègre ces compétences dans des programmes éducatifs à l’échelle mondiale et les Nations unies soulignent leur importance dans le bien-être mental et la cohésion sociale. La santé est donc perçue comme une ressource de la vie quotidienne, et non comme le but de la vie.

Un atelier citoyen d’avenir

En France, la reconnaissance des compétences psychosociales a été progressivement intégrée aux politiques éducatives et de santé publique.

D’abord en 2013, avec la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, puis en 2016, avec celle de la modernisation de notre système de santé, et enfin dans les programmes de l’Éducation nationale.

Deux axes sont aujourd’hui possibles à travers des enseignements tels que l’éducation à la vie affective et sexuelle, l’éducation à la santé et l’éducation à la citoyenneté, mais aussi à travers des initiatives locales de projet de classe.

C’est par cette porte que l’atelier «  Devenir les citoyens de demain » est entré dans la vie des élèves de CE1 de l’éco-école primaire franco-allemande La Courbe, à Aytré en Charente-Maritime. Depuis septembre 2024, trois mardis par mois, j’interviens dans une classe de vingt-cinq élèves en présence de la professeure des écoles. J’y accompagne les enfants à apprivoiser leur unicité, découvrir leur place dans leur environnement, appréhender le « vivre ensemble » et s’inscrire dans une démarche pour le bien collectif, afin « d’élever les défenses de la paix dans l’esprit » tout en s’adaptant à un monde en perpétuel mouvement.

Au premier trimestre, les enfants ont appris à se découvrir en tant qu’humains, tant dans leur corporalité que dans leur corps émotionnel.  Nous avons mis en évidence notre appartenance à une espèce, notre intégration dans l’environnement, les super pouvoirs de notre corps, la force du ressenti de nos émotions, mais également notre unicité.

Ensemble, les enfants ont appris à s’asseoir, à s’écouter, à s’observer, à écouter une histoire, à créer et à écrire une pièce de théâtre.  Nous avons également commencé à travailler sur la résolution des conflits, le respect de la parole et la posture d’élève.

Le deuxième trimestre est consacré à la découverte de son histoire, à l’adaptation à son environnement proche et à son appartenance à une société.

Enfin, au troisième trimestre, nous choisirons ensemble un projet citoyen que nous mettrons en œuvre selon trois axes possibles :

  • l’écologie,
  • le transgénérationnel,
  • le handicap.

Avec Béatrice Selosse, leur professeure, nous tenons ensemble un carnet de bord où nous consignons nos observations des élèves et du « groupe classe » selon les compétences psychosociales.

Depuis septembre, chaque enfant a fait des progrès, tant dans la concentration en classe que dans le respect des consignes et dans leur apprentissage. Mais surtout, un groupe classe est né avec une nouvelle conscience de l’existence de « l’autre » et de son « altérité ». Ces observations donnent sens à ce projet et me conforte dans l’idée que chaque enfant possède en lui le potentiel d’être un acteur majeur du changement.

En les guidant à travers des expériences concrètes et des discussions enrichissantes, nous leur offrons les outils nécessaires pour devenir des citoyens éclairés et responsables, capables de faire face aux défis de leur époque.

L’école se doit d’être un lieu d’apprentissage du savoir et du savoir-faire, mais également, et avant tout, un lieu où nous apprenons à développer notre savoir-être et notre savoir-vivre ensemble.

Note :

(1.) Unesco : organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture.

(2.) Charte d’Ottawa, 21 novembre 1986.